Les saveurs du Scorpion

Magicien devant ses fourneaux, alchimiste des saveurs, ses préparations sont souvent des expériences qu’il aimera vous faire goûter, guettant malicieusement vos réactions. Il aime les « mariages » hardis, audacieux, fantasques, inédits, originaux, il aime surprendre, mais aussi être surpris. Il sait d’instinct ce qui plaira ou ne plaira pas, ce qui convient ou doit être écarté. Dire que c’est un sorcier ? est un pas que nous franchirons aisément.

Friand des saveurs fortes, corsées, sauvages, parfois énigmatiques et mystérieuses. Il a une prédilection pour tout ce qui « laisse une empreinte gustative », la fadeur n’a pas cours dans ses régions, elle peut passer son chemin. Notre ami aime tout ce qui est pimenté, épicé, relevé, piquant, il mitonne ses petits plats comme les choses de sa vie ! Il a un estomac d’acier capable de digérer toutes ses élucubrations gastronomiques, n’oublions pas qu’il aime vivre dangereusement.

Accompagnons-le au marché.
Notre ami est un carnassier, il aime la viande, rouge de préférence, généralement pas trop cuite, saignante, voire bleue. Son choix se portera sur une pièce de bœuf plutôt épaisse qu’il fait griller ou, de façon plus fine, en carpaccio ou tartare. Il aime le gibier, plutôt à poils qu’à plumes ou d’eau, à la période de la chasse. Selon son humeur, son goût ou la nature de l’animal, il le fait mariner pour en faire des civets ou le rôtir surtout s’il a l’occasion de le faire cuire à la broche au feu de bois. Mettez-le devant un civet de chevreuil ou un cuissot de marcassin à la broche, vous ferez danser ses papilles ! Il appréciera de même façon les terrines, les pâtés en croûtes, les tourtes et timbales. Il est également friand des tripes à la mode de Caen ou d’ailleurs, les andouilles sans pour autant « Viré » à l’andouille !

À l’étal du poissonnier, il est du style « coquillages et crustacés« , vous le verrez rougir de plaisir devant une platée d’écrevisses à la nage, une « demoiselle de Cherbourg* » ou se piquera d’oursins. Côté mer, son choix se portera sur des canapés d’anchois, une raie au beurre noir, la rascasse qu’il farcira, appelée aussi le perroquet ou le « scorpion des mers ». Notons qu’il n’a pas son pareil pour préparer une bonne bouillabaise. Côté rivière, c’est le brochet appelé aussi le « requin d’eau douce », la muette carpe et l’anguille qui se met au vert remportent la palme.

A la période des champignons d’automne, il ira les cueillir dans les bois et forêts. Il est fin connaisseur et sait naturellement distinguer le comestible du douteux, vous aurez compris qu’il les préfère sauvages que cultivés. Ils accompagneront avec bonheur ses pièces de viandes et de gibiers, mais si vous voulez le faire saliver présentez-lui une fricassée de chanterelles ou de cèpes légèrement piquée d’ail ! Vous m’en direz des nouvelles.

Une saveur forte en appelle une autre, c’est pourquoi ses « garnitures » ont également du « muscle ». En tête de liste, viennent les poivrons de toutes les couleurs. Riches en vitamines C surtout les rouges, ils stimulent la digestion et la circulation du sang. Réduit en poudre, on l’appelle « paprika » et a la propriété de combattre le mal de mer. Son cousin germain le piment rehausse ses préparations ; écrasé, il devient le « poivre de Cayenne » et parfume le Tabasco. Des légumes de la famille des « allium » comme le poireau surnommé « l’asperge du pauvre » est délicieux en vinaigrette, à la crème, en gratin ou avec des pommes de terre. Son proche parent, l’oignon se mange cru dans la salade ou cuit, cela fait ressortir une pointe sucrée, la soupe est un grand classique. Ses cousins, l’ail, la civette, la ciboulette aromatisent salades, omelettes, viandes, terrines. La chicorée sous toutes ses formes, la frisée, la scarole, les rouges qui viennent de Trévise ou de Vérone, il les prépare en salade, les mélange en une symphonie de couleurs, les cuit pour en faire des gratins ou une quiche. Le pissenlit dont l’amertume  fait son charme et anciennement appelé « pisse-en-lit » à cause de ses grandes vertus diurétiques, se prépare cru en salade, cuit ou braisé avec des petits lardons. Plus original, l’ortie, plutôt considérée comme une « mauvaise herbe » qu’un légume est apprécié pour son goût « piquant et poivré », se prépare comme l’épinard ou en soupe. Ses vertus fortifiantes et dépuratives n’avaient pas échappé aux Anciens, Galien** dit « que ses graines prises avec du vin, excitent au jeu de l’amour » !

Les épices et condiments ont une place choix sur sa table, ils stimulent les glandes salivaires et la sécrétion du suc gastrique pour faciliter la digestion. Anciennement, ils étaient utilisés pour « masquer » le goût des aliments « avancés ou défraîchis », maintenant pour les relever. Le poivre vient en premier, épice universelle dont la couleur diffère selon le stade de maturité de la baie, il était offert aux dieux et servait de monnaie. Les « curry » un mélange d’épices plus ou moins « hot » qui parfume, colore et relève les ragoûts, le riz. Le gingembre, utilisé dans les préparations sucrées ou salées, diminue la nausée et combat le rhum. La moutarde ou « mout ardent », préparation à base de graines et de vinaigre ou verjus,  est apprécié pour son goût piquant, il relève les sauces, les viandes, les tripes, les charcuteries ou encore le lapin. Les câpres, à la saveur aigrelette et amère et, aux propriétés apéritives, aromatisent les sauces, le tartare, les hors d’œuvres. Le raifort ou « raiz forte » (racine forte) a une forte saveur brûlante, sa racine est préparée crue, cuite ou marinée, il peut remplacer la moutarde, ses feuilles parfument les salades.
On trouvera également sur ses étagères des « chutneys« , sorte de confiture plus ou moins aigre-douce et préparée à partir de légumes et de fruits épicés et sucrés, le kechtup à base de purée de tomates diversement épicées. Le vinaigre (vient de vin aigre) utilisé pour assaisonner les salades, en marinade pour conserver les oignons et cornichons, les câpres, les cerises, les prunes, les tomates vertes, pour aromatiser les aliments, pour empêcher l’oxydation des fruits et légumes et pour attendrir des viandes. Il est fait à partir du vin, de l’alcool ou du cidre, on peut l’aromatiser d’échalotes, de framboises, de fines herbes, faite preuve d’imagination ! Sans oublier les pikels et mixed-pikels, préparations à base de légumes macérés dans du vinaigre épicé.

Avant la poire, il y a le fromage. Ici aussi, il recherche des saveurs fortes et bien marquées comme le Munster, le Maroilles, le Pont-l’Évêque, le Livarot, le Langres, l’Epoisses, le Herve (pour les belges), ou les bleus, dit aussi « persillés » comme le Bleu d’Auvergne, des Causses, de Bresse ou la fourme d’Ambert.

Nous arrivons aux desserts. Rien de sirupeux, que du musclé, vous en serez baba au rhum ! sans pour autant tomber dans le trou normand. Si vous voulez lui faire plaisir, il les aime flambés, que ce soit des crêpes, une omelette norvégienne, une tarte normande et même la Tatin. Les baies à la saveur acidulée et prononcée ont sa préférence, telle la framboise et la mûre, la groseille et le cassis, la myrtille et le sureau (ses fleurs sont souveraines pour neutraliser un rhum et délicieuses en beignets), la prunelle ou encore la cerise bigarreau. Ne pouvant se conserver très longtemps, il les fait macérer dans l’alcool et en fait des ratafias pour agrémenter ses sorbets, ses glaces, ses parfaits ou soufflés. Il aime le pudding anglais, les crumbles, la tarte au citron, le pain perdu, le moka.

Et bien évidemment le tout est arrosé d’un vin corsé, long en bouche et qui « a de la jambe », qu’il aime hélas sans modération, l’eau est pétillante et le repas ponctué d’un café serré.

Si nous observons ses préférences, nous remarquons que ses papilles ne sont pas des petites natures !

*    Demoiselle de Cherbourg : nom donné aux petits homards de 200 – 250 gr
**     Galien : médecin grec du IIème siècle, auteur de nombreux textes tant médicaux que philosophiques et religieux. Sa théorie des humeurs constitue la base de la médecine du Moyen-Âge.

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